vendredi 2 avril 2010

ligne de fuite

Les connections d'un rizhome s'apparentent au dédale d'un labyrinthe. Un fil rouge le traverse et permet de s'y repérer ; on pourrait dire que ce fil rouge se caractérise par une double question, qui finalement n'en forme qu'une : qu'est-ce que l'art ? Et qu'est-ce que la critique d'art ?
Deux questions qui se ramènent à un seul questionnement, dans la mesure où l'art et la critique sont deux moments d'un même processus de création (esthétique).

La critique d'art s'oppose à l'histoire de l'art en tant que cette dernière se préoccupe de classement et d'ordonnancement chronologique selon une lecture historicisante qui fonctionne par connections verticales, tandis que la critique opère par connections latérales. La critique d'art selon une approche deleuzienne s'effectue non par linéarité causale (arborescence ou filiation), mais de manière cartographique (collages multiples) et transhistorique.

Dans un tel contexte, la question à se poser face à une oeuvre d'art n'est pas quelle est le sens (perspective herméneutique) mais comment cela fonctionne.

L'enjeu de la critique étant de repérer les lignes de déterritorialisation (lignes de fuite) qui sont au travail dans une oeuvre. Certaines oeuvres ne déterritorialisent rien (Laethem Saint-Martin, Permeke..). Basquiat ou Harring ont déterritorialisé le graffiti pour le reterritorialiser sur la peinture, d'où la fulgurance..Warhol reterritorialise les étapes du circuit complet de l'industrie - de la production à la consommation.

Dans une structure rhizomique, on est toujours au milieu, jamais au début ou à la fin ; le contenu et la forme d'une oeuvre sont les deux extrémités d'un même bâton, le crtique prend le bâton par le milieu (Daney).

L'art opère par collage d'éléments hétérogènes. Les éléments hétérogènes se rencontrent telles des plaques tectoniques, et l'intensité esthétique naît (éventuellement) dans l'entre deux.

La critique fait fond sur ce entre-deux -, intermezzo (fonction de passeur mais aussi de topographe du critique). Son accompagnement théorique consiste à amplifier et à faire sourdre cette intensité entre la première rencontre avec l'oeuvre où s'active l'émotion brute et la deuxième rencontre nourrie de cette approche connectante et transversale de la critique qui amplifie et cartographie les potentialités de l'oeuvre.
Cette approche transversale opère selon des connections non seulement latérales, mais plates (la recherche de connections "profondes" ne peut déboucher que sur une incompréhension de l'art contemporain : point de vue de la phénoménologie romantique qui conçoit l'approche de l'oeuvre comme la rencontre d'un sujet et d'un objet, dont le sens de ce dernier s'éclairera à partir de la lumière émanant de la conscience du premier). L'approche de l'art contemporain suppose l'abolition de la recherche d'un sujet centré, comme le concevait l'humanisme.

Exemple de collage qui fonctionne : le générique de Raging bull de Scorcese. On y voit De Niro sur un ring (incarnant le boxeur Jack La Motta). Habillé de son peignoir de boxe, on ne peut voir le visage de De Niro. Seul sur le ring, il s'enraîne, s'échauffe. Plan au ralenti. Le ralenti du mouvement filmique transforme les mouvements du corps du boxeur en danse. Ecran de fumée qui cache le public derrière, présence du public signalée par les lueurs de flashes. Les cordes du ring sont les lignes d'une partition musicale, la musique qu'on entend est une musique romantique. Musique, image et ralenti réalisent une intensité (percepts et affects), où l'image mouvement devient une image temps (Pour la bascule image mouvement vers image temps : voir Hichcock. Rencontres de registres sémiotiques différents selon un agencement machinique dont le critique a pour tâche d'en déployer la carte.

Il s'agit de repérer dans l'oeuvre les petites variations, la dimension créatrice se joue au niveau moléculaire (par opposition au niveau molaire, qui configure les grandes entités, les grands symboles). Dans le monde contemporain, monde réticulaire (en réseau et en rhizome) et synergique, l'artiste qui se situe au niveau molaire (celui des figures massives : opposition Bien/Mal, masculin/féminin...) se condamne le plus souvent à une oeuvre qui ne décolle ni ne déterritorialise rien.
De même, le critique qui déploie son analyse à ce niveau débouche sur le moralisme ou l'idéologie mais ne peut appréhender la dimension esthétique et créative de l'oeuvre.

Le plan moléculaire est de l'ordre du minimal : les petites variations chromatiques de Mondrian qui font que ses toiles ne sont en aucun cas une combinatoire de formes géométriques, mais des séries d'intensités chaque fois différentes qui font vibrer l'espace.

Dans mille plateaux, Deleuze définit trois catégories de synthèse (non hégelienne, non dialectique) : 1) la synthèse connective (si, alors) 2) la synthèse disjonctive (coupure/flux)3) la synthèse conjonctive (et). Certains artistes opèrent les trois synthèses (Warhol).

Art contemporain et critique deleuzienne implique l'éclipse du sujet, au profit d'agencements machiniques et d'agencements collectifs d'énonciation (concept produit à la faveur de la rencontre G.D. /F.Guattari).

L'art échappe à la mort, en tant qu'il crée des percepts et des affects singuliers (qui ne sont ni des perceptions ni des états affectifs, mais des qualités "objectives", des niveaux d'être, non dépendants des objets qui les expriment, ni des sujets qui les éprouvent).

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