mardi 29 janvier 2008

corps sans organe



Deleuze a croisé le chemin du structuralisme en intégrant le schème de séréalité à son approche (différences et répétition), mais il s'en est écarté radicalement en réfutant le formalisme linguistique.

Même chose avec Freud. Deleuze a frayé le sillage de la psychanalyse via le désir et l'inconscient, mais il donne à ces deux concepts une portée radicalement différente.
Pour Deleuze le désir n'est pas affaire de manque, mais de débordement ("comme une coupe trop pleine" pour paraphraser Nietzsche), induisant des lignes de fuite ou de déterritorialisation.

L'inconscient, quant à lui n'est pas une scène où l'Oedipe se déploierait, mais une usine à produire, à agencer machiniquement, non pas la triade père-mère-enfant, mais des peuples, des meutes, des continents, des séismes, des composantes géographiques, géologiques et ethnographiques plutôt que d'étroites petites généalogies familiales. Ce que Deleuze et Guattari reprochent avec violence à la psychanalyse, c'est son familialisme étriqué. Face à la complexité du réel, la consigne deleuzienne serait : ne cherchez pas la racine (celle de l'arbre), mais suivez le canal (du rhizome) ! Face à l'oeuvre d'art, ne cherchez pas ce que ça représente, ni à quoi ça ressemble, mais suivez les connexions et les coupures de flux, les variations et les oppositions infinitésimales (le S/Z de Barthes), plutôt que les gros symboles et leurs antinomies (le beau/le laid, le sens/le non-sens..)

La psychanalyse s'est centrée sur un désir en représentation (théatralisation de la problématique oedipienne), et a développé une compétence pointue quant au profil névrotique (qui a toujours affaire au sujet centré, au manque, à une indépassable structure familiale). La schizo-analyse (Deleuze/Guattari) dessine une autre carte psychique, qui traverse Artaud, Beckett, Thelenious Monk, Buster Keaton.. Qui peut dans certains cas se parer des allures de la froideur (Klee, Mondrian) ou de l'inexpressivité (du visage) chez Keaton, mais qui dans tous les cas rompt le principe de linéarité en travaillant sur les séries divergentes : Mallarmé en poésie, Godard (cinéaste par excellence qui travaille sur les séries et les coupures, agençant des dispositifs visuels et sonores discontinus, culminant vers ce que Deleuze nomme l'image-temps (par opposition à l'image-mouvement).

Notez au passage que la machine désirante n'est en rien une mécanique, mais un assemblage d'éléments hétérogènes (cf. l'art contemporain), tandis que la mécanique vise la continuité en vue de l'acomplissement de certaines fonctions. Le premier grand peintre machinique fut sans doute Turner (vers 1840), peintre des volutes de fumées et des tempêtes chaosmiques, dans un mouvement brownien de molécules.

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